Le Paradis

Faribole arriva en vue du moulin. Il correspondait précisément à ce que son propriétaire avait raconté. Elle ne savait pas la façon dont elle serait accueillie, mais si elle restait là, à coucher dans les hostelleries de la ville, elle ne le saurait jamais. Allez ma fille, fonce voir le seigneur des lieux!
Il avait été poli durant les breves étapes faites ensemble, pas vraiment bavard, mais au moins poli, alors autant aller voir! Ells s'avança vers la pittoresque bâtisse, et fit jouer le heurtoir sur la porte.

TOC TOC TOC

Elle entra à la suite du maitre des lieux. Le nez au vent, elle regardait l'intérieur du moulin, découvrant l'endroit que s'était choisi pour vivre son compagnon de route.
Quel bon vent m'a conduit ici? Heu, et bien...une légère bise, rien de plus. Vous m'aviez tant parlé de cet endroit... j'en ai été curieuse! Je pensais que vous me sauriez au Puy, car après tout, nous avions décidé de nous y retrouver. Je n'ai jamais eu l'intention de muser en route, mais je me suis encore égarée! Il me faudrait un itinéraire fléché, pour ne pas me perdre!! Mais elle était génée, Rhadamanthis la traitait en visiteuse, juste le temps de faire sa pause, avait-il dit.
Ils arrivèrent au salon, mais Faribole resta debout, regardant par la fenêtre l'eau qui glougloutait autour du moulin. Quel bon vent...? Fallait il un bon vent pour qu'elle puisse venir au Puy, et au moulin? Elle avait cru être invitée, et se mordit la joue de sa bêtise!
Elle se tourna en souriant vers Rhadamanthis, appréciant le travail qui restait encore à faire. Je vois que vous avez encore beaucoup à faire... je m'en voudrais de vous déranger plus longtemps! J'envie cette demeure que vous avez!! Vous serez joliment installé, ici, et il y fera bon vivre!! Puis elle reprit sa besace, et montra de la main la porte. Me raccompagnez vous? Il est temps que j'aille m'enquérir d'un logement, dans ce village!! Heureuse de vous avoir revu, et de constater que vous êtes pas trop mal remis de vos blessures. Elle attendit qu'il réponde, avant d'amorcer son mouvement vers l'extérieur.

Elle le regarda avec un franc sourire! Une concentration d'éleveurs de moutons!!! En réalité, elle n'en attendait pas moins de sa part, et il l'avait bien entendue devinée!! Mais peu importe, après un mois au couvent, puis un mois d'auberge plus ou moins bien famées ou de bivouacs, elle aspirait à une maison, un toit, une ambiance de famille! Elle fit un sourire calin à Rhad: Merci, Rhadamanthis, je ne vais pas me faire prier, j'accepte très volontiers! Elle se laissa tomber dans le fauteuil rouge avec un long soupir de bien être, laissa choir sa besace! Elle sourit encore, plutot contente! Qui sont ces amis qui logent avec vous?. Elle entendait en effet quelqu'un frotter sur une surface, dans une pièce cachée derrière...Tenez, si vous voulez, c'est moi qui vous cuisine quelque chose, pour vous remercier de votre invitation!! Vous avez des cuisines utilisables, ou des dépendances où je peux allumer un petit feu?

D'un coup, ce fut le chaos! Un géant roux, une danseuse.. Tous deux sympathiques et directs! et tout le monde se mit en branle bas de combat pour organiser le repas. Il fallut bien fouiller un peu les placards pour trouver des assiettes, dresser une tablée convenable, poser des gobelets en étain ciselé pour inciter le maitre des lieux à ouvrir une bonne bouteille!
Angus les appela à l'extérieur, fier chasseur, et Faribole fut désolée pour les gracieuses betes mortes à ses pieds! Moi, jeune fille sensible, je m'abstient!!! Mais je vous rassure, quand vous aurez fait tout le sale travail, je ne ferai pas la fine bouche pour les manger!! Il était facile à Faribole de se sentir à l'aise, dans ces préparatifs où tout le monde participait joyeusement. Rhad avait des plumes dans les cheveux, Graziella chantonnait en dépeçant les prises d'Angus qui maniait allégrement son hachoir...Faribole entreprit de laver et peler des légumes un peu raccornis trouvés dans une resserre. Elle en ferait des brochettes!

Faribole s'était enfouie dans un des grands fauteuils rouges, sa cape de voyage remontée jusqu'au yeux. Recroquevillée sur elle meme, elle finit par s'éveiller à l'odeur délicieuse du pain chaud. Elle ouvrit à peine les yeux, cillés par une nuit de libations et de chants, de rire et de belles histoires.
Et tout le monde s'était endormi, sans que Faribole n'osa demander une chambre, un lit ou n'ait envie d'aller à la grange dormir dans le foin. Elle posa un pied nu par terre, pus deux, apprécia la sensation de frais sur les tomettes. En fait, elle mourait de chaud sous sa cape.
Elle se leva, en baillant, s'étirant comme un chat! De ses mains, elle se fit un peigne édenté, et fouragea dans sa tignasse hirsute. Ses boucles brunes devaient ressembler à du foin cramé! bah, pas grave! Enfin, si, Rhad apparaissait avec une fournée odorante.. Vite, Faribole secoua la tete, lissa ses habits chiffonnés.. Bonjour, Rhad! pardonnez moi, cette nuit, je n'ai pas eu le courage de repartir vers la ville. J'ai colonisé votre fauteuil rouge, du coup! mais je vous rassure, je fais honneur sans vergogne à votre pain, et je m'enfuis pour ne pas vous encombrer davantage!! Et maintenant qu'elle savait où était la vaisselle, elle courut en gourmande affamée chercher des bols, les pots de confiture repérés la veille, la motte de beurre fut sortie du cellier. Elle était assise avant meme que l'eau n'ait fini de bouillir, et que les autres occupants des lieux ne fussent arrivés, même si on entendait du remue ménage ça et là!

Faribole riait de bon coeur, croquant à belles dents le pain encore tout chaud.. Chacun y allait qui de son anecdote, qui de son commentaire, chacun se moquant de ses propres mésaventures!
Enfin repue, elle repoussa sa chaise en arrière, se donnant un peu d'espace.. Elle sentit qu'elle ne pouvait rester plus longtemps sans abuser de l'hospitalité de Rhadamanthis. Elle avait déjà passé une nuit sur place sans vraiment l'autorisation de Rhad; elle s'était simplement enfouie dans le profond fauteuil, sandales à terre, et avait ramené les pieds sous ses fesses, ses yeux s'étaient fermés seuls, comme des grands, sans qu'elle se rendit compte de quoi que ce soit! Graziella, saurais tu me dire où je puis me rafraichir, faire un brin de toilette? Tu es radieuse, et moi j'ai dormi dans mes vêtements maintenant tout froissés! Si Angus entre maintenant, à coup sur, il me donne un écu par charité! Je ne peux pas retourner en ville dans cet attirail! Jamais je ne trouverai de travail, ainsi! Encore moins trouver une chambre à louer en ville! On me proposera au mieux le fourrage des écuries avec les valets de ferme! Puis elle enfourna pour satisfaire sa gourmandise le quignon croustillant à souhait d'un pain doré, en attendant qu'on lui dise où se préparer.

Faribole fut surprise. Rhad est parti? Il aurait pu me dire un mot... Elle était un peu déçue, et se doutait que Graziella par gentillesse ne disait pas la vérité. Il s'est faché de m'avoir vue dormir ici sans demander la permission! Elle se leva, extrèmement génée. Avec un sourire à Graziella qui se remettait à briquer sans plus s'occuper d'elle, elle alla se livrer à une toilette de chat, dans l'eau froide de la fontaine. Difficile, la condition d'invitée! Elle hésita un moment, partagée entre l'envie de partir vite, trouver un logement, et s'installer dans sa vie au Puy, et le désir de rester ici. Puis elle se choisit pour une solution temporaire, repoussant à plus tard la vraie décision. Revenant dans le moulin, elle remonta ses manches et dit à Graziella. Allez, mes vetements sont tachés, froissés, je ne crains plus rien!! Acceptes tu mon aide? Il y a tant à faire ici, il faut bien des anges pour remettre le Paradis en état!!Et avant même la réponse, elle s'agenouillait, chiffon et encaustique à la main, et se mettait à rendre au sol de la pièce son aspect satiné d'antan.

Rhad fumait son tabac sur ce banc où il avait ses habitudes.
Dix jours plus tôt, elle l'avait vu à la meme place, mais elle s'était eclipsée par la porte de service, n'osant aller le voir pour lui demander une chambre.
C'est un peu honteuse qu'elle revenait ce soir. Dix jours à l'auberge, seule désespérément. La soirée animée passée au Paradis lui était restée en tête, et elle avait fini par se dire qu'elle aurait du retourner au moulin, expliquer son départ à Rhadamanthis, le remercier de son accueil..
Il la regardait arriver penaude, plissant les yeux sur elle, regard clair mais insondable. Debout devant le banc occupé, elle fit un sourire, puis s'agenouilla face à lui, et posa ses mains sur un des genoux du maitre des lieux. J'ai à me faire pardonner. Je suis partie comme une voleuse, et n'ai plus donné de nouvelles. J'avais dit à Graziella que je retournais au village, et je sais que vous n'avez pas eu d'inquiétude, mais à vous je n'ai rien dit. C'est grossier de ma part. Elle pencha la tête en parlant, comme pour l'encourager à mieux la pardonner. Puis s'aidant d'un sourire charmeur, elle demanda: J'ai une requête, messire. Je viens de passer dix nuitées à l'auberge, et m'y suis sentie seule à pleurer. Je ne veux pas encombrer Graziella dans sa roulotte. M'offririez vous le gite et le couvert, en échange d'écus sonnants et trébuchants, mais à la condition que le loyer n'excède pas celui d'une taverne honnete? Pour sur, je participerai aussi aux taches quotidiennes! Voulez vous bien, messire Rhad? D'une pression sur son genou, elle appuya sa question, une presque supplique tant elle voulait qu'il dise "oui"!