"Aux Ciseaux d'Argent"

Fyl aperçu une nouvelle enseigne alors qu'il flânait dans les rues du Puy, il entra dans la batisse, faisant sonner la cloche accrochée au plafond.

Bonjour... il y'a quelqu'un?

Il entendit un bruit venant d'une porte, au fond de la pièce, il tendit l'oreille.

Je suis sûr que je peux trouver quelque chose, vous faites un beau travail!

Fylik regarda les bottines.

Un joli modèle, j'y penserais lorsque les moyens suivront.

Il sourit et regarda les autres choses exposées.

Fylik sourit.

J'ai, pour le moment, tout ce qu'il me faut, mais je saurais penser à vous lorsqu'il me faudra quelques vêtements.

Sur ce, je vous quitte, bonne soirée.

Il passa la porte et repartit.

Rosie flanait au marché. Odeurs, couleurs, tout charmait les yeux. Sauf peut etre l'étal du tanneur. Les couleurs explosaient sur les cuirs exposés, mais les narines aussi! Elle pressa le pas. De toutes façons, elle n'avait plus une grosse fortune restant de la vente de son champ à Vesoul. Juste de quoi passer la commande qu'elle avait en tête. Guère plus. Le maire lui accordait un emplacement provisoire, qu'elle rendrait bien propre le jour où elle continuerait sa route. Mais toute à ses pensées, elle s'aperçut qu'elle avait dépassé l'adresse qu'on lui avait conseillée, et dut faire demi tour.
Elle espéra que messire Rhadamanthis ne l'enverrait pas bouler, avec sa demande farfelue. Elle souhaita aussi que les prix du tisserand soient dans ses moyens. Enfin,elle verrait bien. Qui ne demande pas ne sait rien.
Elle entra dans la boutique, un brin tendue.
Son regard fut aussitot attiré par des chemises de fin linon. Elle soupira devant sans oser les toucher. Voilà un luxe dont elle devrait encore se passer. Pourtant, elle en avait bien besoin. Sa mise laissait à désirer. Mais bon, vu qu'elle ne faisait que pêcher, à moins de se faire un habit de sirène avec la peau de ses poissons, elle ne voyait pas comment elle pourrait se vêtir au mieux. Le plus urgent était de se faire faire un toit.

Justement, le propriétaire approchait, avenant, et elle se hâta d'expliquer.

Bonjour, messire. Vous me reconnaissez, nous nous sommes déjà croisés dans un des antres de la ville. Je viens vous passer une commande, si vos tarifs m'agréent. Voilà mon souhait: j'ai ouïe dire que les Tartares vivent dans des maisons mobiles, en toiles épaisses, colorées et brodées. Ils installent cette toile là où ils souhaitent vivre. Quand ils veulent partir, ils replient la toile, la chargent avec les meubles dans une carriole, et hop, reprennent la route. Je voudrais une yourte, messire Rhadamanthis. Sauriez vous m'en faire une?

Elle le regarda, anxieuse de sa réponse. S'il allait refuser? Devrait elle dormir sous les ponts encore longtemps? Ou se résoudre à envahir les demeures de gens hospitaliers, mais qu'elle ne connaissait que peu? Elle en eut presque un sanglot! Depuis qu'elle avait eu connaissance de ces demeures pliables, elle se languissait d'en avoir une à elle. Etre libre, c'était merveilleux, mais n'avoir aucun chez-soi, c'était si angoissant!

Dites "Oui", messire!! Regardez, j'ai là avec moi une esquisse, faite par un voyageur qui venait de là bas. Regardez... dites moi que c'est faisable!!

Et elle étala fébrile devant lui, sur un coupon de soierie, un parchemin de roseau, fragile et friable, sur lequel son rêve était dessiné.

Oh, le projet la passionne, et se dire qu'avec l'aide d'un professionnel, elle peut obtenir son reve.. Elle l'écoute expliquer, compter, et patatrac! Elle répète bêtement:

Une centaine d'heures? Trois mois de délais?

Elle a une vision de tente qui s'effondre, vaporeux rêve de nuage de toile , bâti déjà dans sa tête, mais détruit soudain aux paroles efficaces de Rhadamanthis. Elle leve les yeux de son croquis, regarde dans le vide, dépitée, cherchant une solution.

Mais messire, vous m'obligez à rester trois mois ici. ..Et je ne peux vivre tout ce temps chez les gens, même en passant de chez l'un à chez l'autre régulièrement.

Elle se redressa, déçue au possible.

Loin de moi l'idée de vous demander de travailler nuit et jour, messire. Mais le délai est trop long, et m'attache à la ville du Puy. Trois mois par temps de peste, c'est si risqué! Avez vous songé que je pourrais être emporté entre temps! Qui vous paierait? Alors je n'insiste pas, et vous demande pardon pour le dérangement.

Rhadamanthis l'a raccompagnée dehors, comme s'il la chassait, importune. Elle, enfant au jouet cassé, ne comprend pas bien son empressement, même respectueux, à la mettre dehors.
Et la voilà dehors, avec moins de rêves en tête qu'à son arrivée. Elle aurait aimé chercher avec lui une solution de rechange, un autre modèle, plus petit, moins élaboré.
Le nez collé à la vitrine, elle le regarde qui retourne travailler. Le plan est froissé dans sa main crispée... Elle regarde autour d'elle, observe en ennemie cette ville animée, où elle n'est personne.
Elle ramène son attention sur la peau encore étalée. Cette peau ne sera pas pour elle. Ni elle, ni les autres. Même pas un petit bout de peau.
Elle ne parvient pas à surmonter son dépit.
Elle fait enfin demi tour, et le mouvement lui demande du courage. C'est l'amorce du renoncement, et le signe qu'elle doit se trouver une solution de rechange, et vite!
Un peu plus loin, elle s'arrête à nouveau, s'appuie à un mur, se laisse glisser pour s'assoir sur les talons, en appui à la pierre encore chaude du soleil de la fin de la journée. Dieu qu'elle se sent seule...

Elle se lève, étend ses mains crispées, et le plan tombe à terre, sans qu'elle n'y prête plus garde. Elle hésite, frotte ses mains à ses jupes, se tourne vers la rue qui descend, avec l'envie de s'enfuir.
Mais son vernis de politesse tient bon, et elle se dirige vers le tisserand qui l'interpelle.

Messire, je m'en voudrais de vous faire travailler de trop. ne vous inquiétez pas, je renonce à ce projet. J'avais vu en venant un bohémien qui brade sa vieille roulotte et son âne pour une poignée d'écus. J'avais en projet de l'acquérir si vous vous trouviez dans l'impossibilité de travailler à ma yourte. Et ce me sera l'occasion d'aller enfin à Lodéve où une amie m'attend. Je sais qu'elle a commencé la broderie de la portière de la yourte, et je brule de la voir faire. Elle a des doigts de fée, si vous saviez! Les couleurs naissent de ses doigts comme par enchantement!

Elle soupire à ses changemetns imprévus dans ses projets. Puis lève la tête, lui adresse un sourire qu'elle espère peu crispé.

Pour le godet, je suis partante, en revanche! Vous m'expliquerez les objets que vous faites, et les matières que vous travaillez.